- Ce Sir Freego, voilà le bien le véritable et éternel célibataire. Me répétai-je comme si je lui parlais.
Cela me rappelait mon cheminement personnel vers la solitude. Je songeai que le temps me bousculait à présent et que toute ma fortune après ma mort, si elle devait subvenir prématurément, n’aurait finalement pas servie à grand-chose si ce n’est cette euphorie passagère et tout juste bonne à retomber dans le néant. Quand je considérais toute l’exaltation entourant ma favorite, je pensai qu’elle serait assurément la meilleure ambassadrice de tous mes biens si je devais malencontreusement disparaître. Je transmis le message par internet à mon fidèle avocat, maître Delongprés. Je réitérai mon désir de voir le colis en sa possession parvenir à madame Claudi Robert, selon les modalités inscrites sur mon billet. Ce dernier me répondit presque immédiatement qu’il était mon obligé et que lors de mon envoi subséquent, rien n’avait changé. Il promettait d’accomplir la mission que je lui avais déjà confiée.
- Eh ben ! Lâchai-je pétrifié. Voilà que j’oublie que je lui ai demandé la même chose il y a quelques semaines.
Je me pinçai le nez et passai ma main sur mon visage assombri. Se pouvait-il que je vieillisse, moi, si jeune ?
- Non ! Impossible. Me dis-je.
Tout ce travail, ces derniers jours me surmenait. Je me rendis à la salle de bains pour me contempler dans la glace. Sous mes yeux, deux zones grisâtres en demi-lune soulignaient ma détermination ainsi que ma fatigue accumulée. Je fixai mon regard volontaire, mais je songeai que je devais probablement être le seul à voir quoi que ce soit dans cette lueur injectée de forces obscures. Mes cheveux de plus en plus clairsemés sur mon front soucieux brillaient par leur absence alors que mon nez droit, mais proéminent affichait mon insolence. Mes lèvres ourlées dégageaient, une fois entrouvertes, mes formidables dents blanches.
- Voilà qui me sauve certainement de l’indifférence.
Je tentai un sourire, mais ce ne fut que pour entrevoir la tristesse au fond de moi-même. Je reconnus ce spleen qui m’habitait depuis toujours et que je m’employais à dissimuler de toutes les manières possibles. Je discernai mon masque se surimposant sur mon visage meurtri, ce fard dissimulant cette funeste mascarade qui enveloppait ma conscience. Mes yeux noirs ne reflétaient-ils pas mon manque d’âme ? Je m’attardai à fouiller mon for intérieur. Se pourrait-il qu’après ma mort, je m’incarne sous un nouvel avatar ? Existerait-il un univers distinct et indépendant de celui-ci, capable de supporter d’autres essences, d’autres types d’existences et que je pourrais circonvenir à loisir ?
- Non ! C’est impossible. Je me fis une grimace en quittant la glace. Le paradis ! C’est ici, après, c’est fini.