Le père se jeta sur les interrupteurs pour éclairer sa famille, mais c’est en vain qu’il joua avec les contacts. L’obscurité triomphait tout autant que le mystère qui régnait après cette visite aussi inattendue qu’abominable. La mère enserrait son enfant recroquevillée comme une balle de laine entre ses bras, étouffant à grand-peine ses sanglots. Monsieur Sanschagrin s’empressa vers le téléphone, trébuchant presque dans les oreillers éparpillés à même le sol. Le timbre ne résonnait pas au combiné. Il finit par trouver son cellulaire et l’alluma avec agacement.
- Mais que fais-tu ? Lui cria soudainement sa femme.
- J’appelle la gendarmerie, pardi…
- NON !
- Comment non ?
- Tu n’appelles pas la police, menaça-t-elle en gardant Sébastien plaqué contre elle.
- Mais chérie !...
- Tu n’appelles personne !... Tu fais ce qu’ils ont dit.
Le directeur toisa le regard épouvanté de son épouse. Elle ne rigolait pas.
- Va nous faire de la lumière, maintenant ! Fit-elle menaçante.
Elle connaissait bien son Jules, madame. Année après année, il jouait du coude pour mériter cette présidence à TFr7 et cela accaparait toutes les préoccupations du parvenu. Il consacrait beaucoup plus de temps à ourdir ses plans d’avancement qu’à travailler réellement pour la société. Comment pourrait-elle oublier ces nombreuses tractations, coups de poignard dans le dos et doubles trahisons ? Elle se souvenait de ces grenouillages au téléphone et de ces manigances pour monter toujours plus haut. Un jour, elle pensa qu’on se vengerait de lui. On lui ferait payer ses bassesses et son manque de cœur. Jamais le drame qu’elle venait de vivre n’effleura le pire de ses cauchemars. Le directeur était finalement l’objet d’une vendetta.
- Qu’a-t-il donc fait cette fois, se demanda-t-elle ?
À cet instant, elle le maudissait, le tenant personnellement responsable de ce qui arrivait. Monsieur Sanschagrin descendit au sous-sol pour découvrir les interrupteurs basculés par les cagoulards. Il alluma toutes les lumières de la riche demeure établie en banlieue parisienne. On aurait cru voir un arbre de Noël illuminant la rue, tandis que le quartier, toujours endormi, n’avait cure de se préoccuper des aléas vécus chez leurs voisins. À quatre heures du matin, inutile de dire que la petite famille ne trouvait plus le sommeil.